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temps, un passé d’aventures amoureuses, d’idylles sentimentales. Son passé, c’est la jeunesse dans la nature, c’est la Jeunesse de la Nature. La résignation, c’est par quoi on peut le mieux jouir de la beauté vivante du Passé, résignation grandiose qui rend au Passé sa vie intense, ordonnée et pure… revanche du souvenir sur le néant total.

Quand, en 1886, il fut reçu à l’Académie, il ne fit allusion à son enfance que pour parler de sa « première patrie ». Ses dernières œuvres avèrent la ténacité de son souvenir : l’Aigu bruissement, le Piton des neiges, les Yeux d’or de la nuit, Dans l’air léger, attestent qu’il se maintint dans une évocation vermeille de son pays, ne se rappelant son enfance que pour reconstituer autour de soi une atmosphère de fluide musicalité coloniale, de bourdonnement d’abeilles et de frémissement de tamarins, de brise marine et de murmure de source. Il est sensible qu’il a composé, comme un miel, une mélodie de ses souvenirs les plus propres à bercer sa vieillesse de l’illusion onduleuse de l’ambiance créole.


Celui qui savoura vos ivresses sacrées
Y replonge à jamais en ses rêves sans fin.


Et aux instants où il sent la brume et l’ombre de la vieillesse monter en lui, où le néant va éteindre les sommets embrasés de sa vie, quel meilleur exemple de beauté et de stoïcisme pour ainsi dire naturel propose-t-il à sa méditation que ce Piton des Neiges qui, « dédaigneux du fardeau des années », assiste impassible au déroulement des jours !