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que de la légende biblique et chrétienne. Quand il revint de Bourbon en 1845, il n’en rapportait pas seulement une imagination enrichie de paysages et d’harmonies créoles, mais une âme où s’était déjà mêlée l’admiration de la poésie hellénique et de la poésie sanscrite, mélange qui ne s’était si intimement et si aisément accompli que parce que le poète s’était alors plongé dans la nature natale, elle-même l’union la plus harmonieuse d’une beauté indienne et d’une pureté grecque. Mais, des poésies que dès 1846 publie la Phalange, aucune n’enchâsse un souvenir créole, aucune ne s’essaie à la description du pays, sans doute parce que le flot abondant du souvenir récent déborde du vers trop étroit. Plus tard les souvenirs, raréfiés et définitifs, concentrés par le temps en essence, se recueilleront aisément dans la forme concise et cristalline de la poésie. Au contraire, les premières nouvelles qu’il donne à la Démocratie Pacifique ont généralement comme fond les mœurs et les campagnes de son île : Marcie, histoire d’une jeune fille blanche dont un vieil esclave noir tue les deux prétendants par jalousie ; Sacatove, le récit de l’enlèvement d’une jeune fille blanche par un nègre marron où l’on trouve entre autres descriptions locales d’exacts et curieux tableaux d’intérieur bourbonnais, tel celui-ci :

Le frère passait sa vie à chasser dans la montagne et dans les savanes; la sœur vivait couchée dans sa chambre, inoccupée et paresseuse jusqu’à l’idéal. Quant au père, il fumait de trente à quarante pipes par jour, il