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Et jamais mon regard ne portera mon âme
Sur vos fronts couronnés de neiges et de flammes.

(1839.)


Ce n’est pas qu’il ne fasse rien pour s’attacher à la nature de cette France qu’il aime intellectuellement depuis l’enfance : il voyage en Bretagne, en libres excursions avec des peintres, il se replonge dans le plein air du ciel, il a revu la mer :


La France est douce aussi, mais la France est moins belle !…


Il ne peut se cacher que son état trouble et douloureux, ses indécisions de volonté, ses renoncements, ses emportements, ses abattements ne viennent que de la nostalgie de son pays. À son ami Roussel, qui le consulte, il répond :


Vous m’avez bien compris : mon ciel étincelant,
Mes beaux arbres, les flots de nos grèves natales,
Ont laissé dans mon cœur leur souvenir brûlant,
Oui, j’éprouve loin d’eux des tristesses fatales.


Il ne sait s’il reverra jamais l’île que, comme le premier homme, il a quittée imprudemment, tenté par le désir, s’exilant lui-même du Paradis. En cette angoisse que doit-il faire ? Un autre se résoudrait, se condamnerait à l’oubli volontaire et obstiné. Mais la stérilité pour Leconte de Lisle, nature fécondée de passé, serait précisément dans cet oubli. Il cherchera au contraire son équilibre et sa force dans l’indéfinie réminiscence de son pays :


Oh ! si je ne puis plus, sur tes bords gracieux,
Quelque jour de bonheur, poser ma lèvre émue,
De moins de tous mes mots les plus harmonieux
Je dirai tes attraits, ô mon île inconnue !