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Mais la France, à mes yeux, fait parler l’avenir,
Oh ! ma vie est pour elle !… à toi mon souvenir ![1].


Par ce vers, le jeune homme de dix-neuf ans s’était nettement analysé, partagé entre la passion intellectuelle de la France et l’amour sentimental de l’île. Ce fut toujours la formule de son âme. Son « souvenir » à l’île natale ! Mais le souvenir, chez Leconte de Lisle, eut une intensité, une réalité aii moins égale à celle de la « vie » même. Selon la vieille et juste expression, nul autant que lui peut-être n’a vécu de souvenir.


Nul être, plus que celui-ci qui fut célèbre pour s’être détaché de son Époque, n’a été l’homme d’un pays, d’un coin du monde. Nul être n’a su, du moins, utiliser plus vivacement le souvenir pour s’enraciner virtuellement au pays natal loin duquel il dut vivre. Marquer de poème en poème, la place qu’a prise dans l’œuvre l’évocation de l’île, ce n’est pas seulement nous édifier sur la magnétique piété qui, à travers l’espace, relie un homme à la nature où il est né, mais surtout apprécier la qualité du souvenir chez Leconte de Lisle : et c’est principalement par l’attitude que garde la conscience devant le Passé, devant le Temps qu’un homme se juge…

Or à peine cesse-t-il de distinguer derrière la poussière humide de la mer des Indes le cône des montagnes natales, qu’il comprend son malheur. En vain débarque-t-il en France sa patrie « d’avenir », il regrette aussitôt son pays, et dans la com-

  1. Le Départ.