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leur étonnement de cette nature neuve, profonde et simple. Mais trop rare est cette sorte de documents dont il est permis seulement de pressentir tout le prix : on peut seulement juger de la teneur de ces correspondances par la réputation que l’on fit en France à l’île Bourbon. La poésie imprécise de Parny qui resta aveugle et sourd à la nature de son pays, celle de Bertin, dépourve de relief et de coloris, n’ont presque en rien contribué à l’enthousiasme esthétique que l’évocation de l’île éveillait aux âmes de leurs contemporains. Je crois bien plutôt que les nonchalances superbes de mainte créole furent aux yeux de tous la vivante image de la contrée dont on la savait originaire, de telle sorte que la femme créole fut encore le poète anonyme mais efficace qui célébra Bourbon ou inspira ceux qui le célébrèrent, ne fussent-ils pas tous des Chénier[1]. Quoi qu’il en soit, Bourbon fut assuré pour longtemps d’une réputation de fraîcheur édénique, de majesté langoureuse, de poésie juteuse et parfumée; et la vision que le XVIIIe siècle et le commencement du xixe lui vouèrent se fixe avec ses imaginations naïves et désordonnées, son idyllisme exalté et naturiste dans le roman de Sand : Indiana, œuvre d’un exotisme trop merveilleux, mais ému. L’île possédait déjà son histoire esthétique.

  1. XXI. Fragments d’élégies.