Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que si on eût adressé à M. Lacenaire, avocat et homme de lettres, la question de savoir s’il lui convenait qu’on lui coupât le cou, cet homme distingué eût immanquablement répondu que la chose lui déplairait. Mais que voulez-vous ? Le bon sens et la vertu sont morts ; le monde est aussi fou qu’il est canaille ; nous avions le diable aux trousses et la Providence se mêle trop ostensiblement de la partie. D’où il suit que vous avez raison de peindre des dindons[1], bien qu’il fût peut-être mieux de les manger. — Voilà mon opinion sur la séance annuelle de l’Académie ; si René ne la partage pas, je le voue à Moloch, dieu des Carthaginois…

Adieu mes enfants, écrivez-moi ; à vous de cœur.

Leconte de Lisle.


En 1873, il se présenta, pour échouer d’ailleurs, devant le P. Gratry, ce qui avait sa petite signification symbolique. Était-ce capitulation ? Pas plus que Zola[2] ne fut renégat pour avoir incessamment brigué un siège où défendre les intérêts de la cause qu’il disait juste. L’Académie venait de lui décerner un prix; ses disciples en argumentaient qu’elle voulait le nommer. « C’est une carte qu’elle dépose à votre porte, » devait-on lui dire plus tard au sujet d’une nouvelle récompense. La République s’inaugurait : à défaut des trop bril-

  1. Louis et René Ménard étaient tous deux de l’École de Barbizon et peintres très distingues. René Ménard fils est un des meilleurs peintres coiiiemporains. Une de ses œuvres exposées au Luxembourg est le portrait, le plus spirituellement pénétrant et le plus précisément vivant, de son oncle, Louis Ménard.
  2. On a beaucoup parlé de la haine littéraire de L. de L. pour Zola, à qui il refusait sa voix à chaque élection. C’est le moment de mettre les choses au point en rapportant ici le propos même de L. dans une interview accordée à M. Amandra : « Zola a un énorme talent ; mais sa suite, ô dieux immortels, sa suite ! »