Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
LECONTE DE LISLE

vierge attentive au clavier qu’à l’harmonie des notes éveillées. Quand, dans son voyage, il descendit au Cap, il fut reçu dans une famille hollandaise. Les journées, l’on visitait villes et campagnes voisines, les soirées se berçaient de la musique et du chant de jeunes filles en mousseline. « Mme Bestaudig a deux nièces fort jolies, écrit-il, qui nous font de la musique chaque soir, et chantent en hollando-français. » Et d’adresser à Mlle Anna Bestaudig tels enthousiastes vers :


Anna, quand ta main blanche au piano sonore
Harmonise en jouant tes purs et frais accents,
Nos cœurs muets d’ivresse et forcés par tes chants
Écoutent... Tu te tais, ils écoutent encore !
Ah ! si je le pouvais, si je pouvais te dire
De ta voix, de tes pas les charmes infinis,
Les suaves pensers que ta présence inspire
Mes vers seraient charmants et d’eux-mêmes surpris.


Il ne chanta plus le piano trop intimement lié au souvenir des élégiaques qu’il n’aimait pas, mais il ne cessa de célébrer le « charme infini » de la voix féminine, source intarissable et familière des plus esthétiques sensations.

Au mystérieux verger chante Nurmahal :


Mais voici que, du sein des massifs pleins d’arômes
Et de l’ombre où déjà le regard plonge en vain,
Une voix de cristal monte de dôme en dôme
Comme un chant des hûris du Chamelier divin.

Jeune, éclatante et pure, elle emplit l’air nocturne,
Elle coule à flots d’or, retombe et s’amollit,
Comme l’eau des bassins qui, jaillissant de l’urne,
Grandit, plane et s’égrène en perles dans son lit.