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L’ENFANCE DANS L’ÎLE

rament ardent qui se dépensait en magnifiques désirs, fatalement bientôt froissés.


Je sens à mes soupirs
Que réelle est ma vie.


La douleur seule est, et seule nous prouve que nous sommes : que de vers résignés ou emportés, de sa maturité ou de sa vieillesse, le confessent ou le clament !


Sans accorder une importance prépondérante à ces premières productions, c’est bien là qu’on peut trouver les indications nécessaires à s’imaginer la vie amoureuse de son adolescence, l’existence élégante et oisive des familles riches de l’époque telle que se la rappellent ceux qui y ont vécu.

La seconde romance qu’il ait laissée invite à une double conjecture : elle aurait été composée pour qu’une jeune fille connue ou aimée de Leconte de Lisle la chantât, les yeux errant sur l’horizon marin, la voix folâtrant au ciel, les mains fixées nonchalemment au clavecin d’un tiède salon créole ; ou peut-être il aurait, pour les rendre plus légères et plus suaves, mis sur des lèvres féminines les paroles que soupire sa personnelle nostalgie. Il connaissait la France ; il y était venu à l’âge de trois ans et l’avait quittée à dix. On se le rappelle, quels que fussent le charme du décor mascareigne, l’attrait de l’affection familiale et la saveur d’amicales relations, il désirait fortement y retourner. Cette romance s’intitule Pauvre Moi : c’est une jeune exilée qui redemande sa patrie, la France, dont les mers la séparent fatalement.