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L’ENFANCE DANS L’ÎLE

point essentiel. Mais son cœur véhément, sa nature riche s’attendrissait à mille désirs d’une voluptueuse chasteté. Ardent, il fut toute sa vie très amoureux ; fier, il cacha souvent ou même retint ses sentiments. De là cette langueur créole qui endort, mais n’anéantit pas l’énergie, cette mélancolie passionnée soupirant dans les romances qu’a conservées son meilleur ami d’enfance.


Je sens à mes soupirs[1]
Que réelle est ma vie,
Pour moi, source est tarie
Du ruisseau des plaisirs :
Bientôt fuira l’aurore
Et je reste rêveur !…
Les mains jointes, j’implore
Un instant de bonheur !


Un des principaux poèmes de son album, d’une sensualité délicate aux parfums, est intitulé : la Désillusion.

Hélas ! tu m’as jeté ta parole trompeuse
               Qui m’embaumait le cœur,
Comme l’éclair accorde à la nuit orageuse
               Sa rapide lueur.

Comme un regard distrait nous contemple e» puis passe
               Pour ne plus revenir ;
Comme une vive étoile apparaît dans l’espace
               Et brille pour mourir.

Tes magiques accents s’épanchant sur mon âme
               Semblaient venir du Ciel :
Oh ! sans doute ils sortaient des lèvres d une femme,
               Car ils sentaient le miel !

  1. Extrait de Un instant de bonheur, romance autographe du
    Lycée Leconte de Lisle.