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Et corrodant leur cœur d’avarice enflammé,
L’idole au ventre d’or, le Moloch affamé,
S’assied, la pourpre au dos, sur la terre avilie


il s’interroge impérieusement :


Quel fleuve lavera nos souillures stériles ?
Quel soleil, échauffant le monde déjà vieux,
Fera mûrir encore les labeurs glorieux
Qui rayonnaient aux mains des nations viriles ?


Insistons-y délibérément : le pessimisme de Leconte de Lisle, auquel on a conclu trop rapidement, se subordonne entièrement à la réalisation d’un idéal primitiviste. La mort, l’anéantissement désespéré, vaut certes mieux si l’humanité ne peut recouvrer la vie de nature, harmonieuse en sa justice et en sa paix. Mais cet idéal, composé des richesses virides de la puissante vie primitive et des grâces libres et des élégances de la civilisation hellénique, cet idéal qu’il appela « Éden », du nom charmant en sa fraîcheur du mythique Berceau, que d’autres appelèrent Icarie ou Phalanstère, il en a cru possible la réalisation. Il a même fait de ce rôve splendide la volonté, la passion suprême de l’Homme s’acharnant orgueilleusement à la lutte de vie. Kaïn, qui personnifie l’Homme en lequel Dieu oulut injustement incarner le Mal, méditant de se venger de Dieu, lui prédisant la chute de son autorité despotique, annonce précisément comme but et volupté suprême du genre humain son retour dans Éden, en dépit des sacrées interdictions :


Et ce sera mon jour ! Et, d’étoile en étoile,
Le bienheureux Éden, longuement regretté,
Verra renaître Abel sur mon cœur abrité.