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LECONTE DE LISLE

en « ces matins si doux » illuminés de visions, il verra les bois-noirs touffus et les tamariniers au pied desquels il aimait s’asseoir pour regarder passer, dans l’ombre ambrée du manchy, la vierge dont l’évocation pieuse colorera de clarté ses dernières années encore.

On peut s’étonner de ne trouver dans la pièce précitée aucune allusion à celle qu’il chanta plus tard dans le Manchy et qui lui inspira probablement aussi les strophes d’Épiphanie. Rien n’est plus naturel. Pour les raisons qui ont été énoncées par M. Henri Houssaye ou d’autres, Leconte de Lisle n’aimait plus la jeune créole inhumaine ; mais celui dont les moindres sentiments étaient profondément imprégnés de poésie, n’en gardait pas moins le plus limpide souvenir de sa beauté, il aimait encore sa forme désormais « immortelle », il chérissait l’extase pure que cette forme lui avait donnée, qui avait élargi et élevé son âme. Et ce sentiment était trop délicat et trop intime pour qu’il pensât à le communiquer à ses amis. Il ne le fera revivre que plus tard, dans ses poésies, quand il pourra lui ôter tout caractère personnel : rien en effet n’est plus impersonnel qu’Épiphanie.

Il ne parle à ses amis que des émotions qu’ils ont pu ressentir comme lui. Il rappelle les nuits passées ensemble au bord de la mer, les mêmes dont plus tard, loin de la terre de senteur et de lumière, envolées les illusions joyeuses et les folles espérances, il sublimera le souvenir en ces vers d’Ultra Cœlos, magnifique paraphrase de ceux du Départ :