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… Ô chasteté sainte, ô robe éternelle
Malheur à qui sur toi porte une impure main !

(Hélène.)


Leconte de Lisle était voluptueusement chaste : par quoi d’ailleurs il a eu un sens si délié et un tact si passionné de la complexité de l’univers. La chasteté, qui tient l’être frémissant à distance de la beauté, en favorise une plus complète contemplation où s’embrasse l’harmonie de l’ensemble sous la caresse lumineuse de l’atmosphère. Et, préservant le jeune homme ardent des épuisements orientaux, elle lui conserve une plus fraîche spontanéité à l’amour, de plus vibrantes et de plus longues émotions : aux heures électriques où elle lui conseille les solitudes préparatoires, son expansive tendresse s’accorde aux autres objets de la nature, s’enrichit de leur grâce dont elle embellira encore plus tard l’admiration et la possession de la beauté féminine. La chasteté est l’art d’associer la nature à ses plaisirs pour les purifier et les intensifier, d’exalter l’amour de panthéisme. Platonisme social : elle est la qualité des peuples forts qui savent, par une instructive solidarité et dans l’obligation d’une activité laborieuse, se tenir vigoureux. À l’homme moderne, elle donne la dignité et la fermeté nécessaires non tant à disputer sa part dans la lutte pour la vie qu’à s’intéresser à la lutte sociale. Elle est une vertu et une discipline sociales. Dans la littérature efféminée, désabusée par efféminement, du Second Empire, entre le dandysme de Musset familier à la cour et le scepticisme de courtisane de Mérimée, l’œuvre chaste, naïve et forte