Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/278

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus forte raison, dans la masse inculte. » Béranger ne peut être populaire (ou socialiste), puisqu’il est le poète d’un temps où la foule « n’aime pas assez la liberté pour que le goût capricieux qu’elle nous inspire puisse nous relier énergiquement dans une exaltation commune et durable ».

Aux époques vivaces où les rêves, les terreurs, les espérances, les passions vigoureuses des races jeunes et naïves jaillissent de toute part en légendes pleines d’amour ou de haine, d’exaltation mystique ou d’héroïsme, récits charmants ou terribles, joyeux comme l’éclat de rire de l’enfance, sombres comme une colère de barbare et, flottant, sans formes précises, de génération en génération, d’âme en âme, et de bouche en bouche ; dans ces temps de floraison merveilleuse de poésie primitive, il arrive que certains hommes, doués de facultés créatrices, vastes esprits venus pour s’assimiler les germes épars du génie commun, en font sortir des théogonies, des épopées ; des drames, des chants lyriques impérissables Ce sont les révélateurs antiques du Beau, ceux qui poussent à travers les siècles les premiers cris sublimes de l’âme humaine, les grands poètes populaires et nationaux. »

Est-ce assez précis ? Dans l’avenir donc, le poète national, populaire, sera celui qui de nouveau révélera le Beau à la foule. Révéler le beau, c’est l’unique rôle du poète, de l’artiste. L’artiste est l’éducateur de Beauté. « Le poète satirique, dit Leconte de Lisle dans l’article sur Barbier, est un moraliste par excellence »… mais « dès qu’il monte en chair, l’artiste meurt en lui, sans profit pour personne ; car il n’existe d’enseignement effi-