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point de les empêcher de voir les idées sous la magnificence de la forme, les préfaces et les articles critiques de Leconte de Lisle ne les exposaient-ils point en toute clarté de nudité ?

Mais on ne les lisait point : la critique aujourd’hui est encore bien insuffisamment consciencieuse, scientifique ; les universitaires ou les poètes seuls la détiennent qui les uns s’arrêtent, effrayés déjà de leur audace, à la préface de Cromwell[1] et les autres dédaignent de remonter au delà de leurs propres poétiques.

Dans la préface des Poèmes Antiques (1852), Leconte de Lisle réclame l’impersonnalisme dans l’art, parce que l’art, réduit à n’être plus que le déversoir des passions et des intérêts individuels, n’a plus ce caractère de largeur, d’universalité qui lui permet d’être un haut et grand enseignement. Comment l’art élèvera-t-il l’homme s’il ne fait que s’alanguir sur l’infirmité sentimentale de quelques hommes ?

C’est ici que sa théorie de l’art pour l’art s’élargit hors de l’étroitesse où elle se desséchait dans la traduction des commentaires pédantesques, et se distingue parfaitement de celle d’un Baudelaire, d’un Gautier : « Des commentaires sur l’Évangile peuvent bien se transformer en pamphlets politiques ; il y a ici agression et lutte sous figure d’enseignement, mais de tels compromis sont interdits

  1. Au contraire, M. Brunetière, que l’on ne saura jamais assez remercier d’avoir fait son admirable et religieux éloge du poète devant les étudiants de Sorbonne. Mais il était limité par son sujet, l’évolution de la poésie lyrique.