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LECONTE DE LISLE

la ville en vagabondage de lecture. La bibliothèque fermée, avant l’heure de rentrer à la maison c’est, au gré de sa fantaisie, la promenade par la ville toute chantante d’arbres et d’oiseaux. Partout et toujours — cela jusqu’à 19 ans, — la nature : une nature douce et qui, riche, se donne largement, — la nature, vraie éducatrice des intelligences libérales et des sensibilités altruistes.

C’est sa voix calmement puissante qu’il entend, même sans l’écouter; elle impose en lui la foi que celui qui l’aime et la goûte prend d’elle une « sublime » générosité, une substantielle et ample vertu. La rapacité d’appétits matériels des habitants de l’île, indifférents à la beauté du pays de si prodigue pittoresque, frappe, impressionne désagréablement « l’enfant songeur » et déjà fervent du Beau. « Le créole est un homme grave avant l’âge, écrira-t-il, qui ne se laisse aller qu’aux profits nets et clairs, au chiffre irréfutable, aux sons harmonieux du métal monnayé. Après cela tout est vain, amour, amitié, désir de l’inconnu, intelligence et savoir, tout cela ne vaut pas une graine de café. » L’opacité d’intelligence et la vulgarité d’âme des planteurs d’avant 1845 l’effarouchent. Esprit et intérêts bourgeois, c’en est déjà une commune horreur.

Ainsi, malgré l’éloignement de la France et le béotisme du milieu, il connaît le charme profond et qui absorbe l’être des lectures diverses, du com-