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cieux, qui ont eu trente ans et plus pour lire attentivement l’œuvre qu’ils proclamaient supérieure, — ne voient que l’artiste, ou le panthéiste, ou le phénoméniste. Pour n’en citer qu’un, et pour prendre celui qui avait à exprimer en quelques mots les caractères essentiels de l’œuvre, M. Faguet, dans son chapitre de l’Histoire générale de Lavisse et Rambaud sur la poésie sous le Second Empire[1], écrit ces lignes pauvres : « Ses Poèmes sont des œuvres un peu monotones où il n’a pu ou voulu mettre que des effets de couleur, de relief et de rythme ; » — on lui en veut d’autant plus qu’il est un des critiques les plus avisés, qu’en général l’idéen des œuvres le frappe plus que le pittoresque, et qu’il s’est enfin tout spécialement occupé des écrivains politiques de ce siècle[2].

La critique littéraire, fût-elle même portée, comme à l’ordinaire, à négliger la pensée pour ne s’attacher qu’à la forme, ne devait-elle point remarquer que Leconte de Lisle est socialiste par son genre d’imagination même et jusque par la manière particulière de son pittoresque ? Ses poèmes, ses grands poèmes sont en général des fresques — c’est-à-dire des peintures épiques — où l’individu s’efface dans

  1. Tome XI.
  2. Par contre, M. Léon Bourgeois, représentant le Gouvernement de la République aux obsèques de Leconte de Lisle, eut soin de citer cette parole du poète que « faire une belle œuvre d’art, c’est prouver son amour de la justice et du droit » et de la commenter en ces termes : « C’est bien un combat — et un combat éternel — qui a rempli de son tumulte tout le marbre de ce front sans rides, le cerveau ardent du poète, c’est un combat qui remplit son œuvre, le combat de la raison contre l’ignorance, de la justice contre la force…… Nul poète n’a plus profondément souffert avec l’humanité de sa souffrance… »