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recueillit et s’épancha dans sa manifestation littéraire, en une action littéraire. Hugo et Lamartine ont eu une vie politique plus agitée, mais leur poésie est aussi moins gonflée d’ardeurs de foi, de fécondité. Du cratère du vers lislien le vin fort déborde : « Le sieur de Lisle me plaît, écrivait Flaubert, d’après ce que tu m’en dis. J’aime les gens tranchants et énergumènes ; on ne fait rien de grand sans le fanatisme. Le fanatisme est la religion[1]. — J’ai lu Leconte ; eh bien, j’aime beaucoup ce gars-là, il a plus d’élévation dans l’esprit que de suite et de profondeur. Il est plus idéaliste que philosophe, plus poète qu’artiste. » Poète…, agisseur, créateur.

C’était un caractère, noble, désintéressé, ferme. Il apportait dans le sentiment de ses affaires personnelles les mêmes idées que dans l’appréciation philosophique de toutes choses :


Tu me réponds à cela que personne n’a lu tes vers, si ce n’est moi. Voilà une magnifique raison. Qui diable a donc lu les miens ? Toi et de Flotte. Au surplus qu’est-ce que cela fait à tes vers et aux miens ? Tout est-il perdu parce que 3 ou 4 ans se seront écoulés sans qu’on ait fait attention à nous ? Tu sais bien que tout ceci rentre dans l’ordre commun. Se désespérer d’un fait aussi naturel, aussi normal, aussi universel, c’est se plaindre

  1. Souligné par Flaubert — qui avait déjà écrit :

    « J’ai de la sympathie pour ce garçon (L. de L.), il y a donc encore des honnêtes gens ! des cœurs convaincus ! et tout part de là, la conviction. Si la littérature moderne était seulement morale, elle deviendrait forte ; avec de la moralité disparaîtraient le plagiat, le pastiche, l’ignorance, les prétentions exorbitantes, la critique serait utile et l’art naïf, puisque ce serait alors un besoin et non une spéculation, » Correspondance, 1853.