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… La Montagne et le Peuple ont indignement trahi la République, et Proudhon avait préparé la chose de longue main, dans une série d’articles abrutissants où 89 était conspué et les Pères de la Révolution journellement insultés. Notre pauvre République n’a-t-elle pas été depuis 18 mois en proie constante des crétins et des traîtres, et n’était-ce pas à désespérer de l’intelligence humaine que de voir les destinées de la démocratie commises à la foi d’un misérable économiste ? Aussi, qu’est-il arrivé ? Cet homme a tellement énervé et perturbé l’esprit du peuple, il l’a tellement mis en défiance à l’égard des journalistes qui persévéraient dans la trois fois sainte tradition conventionnelle que ce peuple stupide s’est croisé les bras en face du hideux royalisme qui conspire en plein jour pour la ruine de la République et qui la déshonore à l’étranger par une guerre lâche et infâme — la campagne de Rome — violatrice de la liberté et de tout sens moral.

Je ne saurais t’exprimer, mon ami, toute la rage qui me brûle le cœur en assistant, dans mon impuissance, à cet égorgement de la République qui a été le rêve sacré de notre vie. Nous étions tous résolus, le 13, avant cette inepte manifestation pacifique[1], qui a tout perdu, à racheter notre déplorable abstention de l’année dernière par une lutte suprême.

Mais que veux-tu ? Le Peuple a été balayé sur les boulevards par 4 hommes et un caporal, et le peuple est rentré chez lui, froid, indifférent et inerte.

Je te dis que les masses sont stupides. Je ne sais plus ce que nous avons à faire. La contre-révolution est installée au pouvoir, la France est déshonorée en Europe

  1. Lettre du 15 juillet 1849. Ménard est en Belgique, proscrit, sans doute à la suite de son Prologue d’une Révolution.