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au milieu d’une foule qui venait de piller une boutique d’armurier, se distingua un homme qui criait beaucoup et ne voulait rien entendre aux voix prudentes de ses amis. Il portait une arme neuve, vierge de tout usage, et s’écriait : « Je viens de faire le coup de fusil ! » Il répétait encore exalté : « Il faut aller fusiller le général Auspick ! » C’était Baudelaire.

Touchant les journées de Juin, on a seulement écrit que Leconte de Lisle se présenta aux barricades avec Louis Ménard et que tous deux se contentèrent de porter aux insurgés la formule du coton-poudre. On trouva qu’à ce leur rôle s’était singulièrement « borné », et l’on montra les deux amis rentrant « chacun chez soi » après le dilettantisme d’une errance sceptique de barricade en barricade. Or encore, en ces mêmes journées[1], après la reddition du faubourg Saint-Antoine, on rencontra, compagnon d’insurrection de Pierre Dupont, un citoyen nerveux, excité, fébrile : Baudelaire pérorait, déclamait, se démenait vers le martyre. « On vient d’arrêter de Flotte, criait-il, est-ce parce que ses mains sentaient la poudre ? Sentez les miennes[2]. » Suivaient des fusées socia-

  1. Nous ne pouvons ici que rapporter les mots de M. Calmettes. Qui a-t-il interrogé ? Mystère… M. de Heredia dit que Leconte de Lisle faillit cire tué en compagnie de Poulet-Malassis. Les autres amis de Leconte ne savent rien de précis. Mme Dornis : « On le vit sur les barricades en compagnie de Paul de Flotte. Les deux amis apportaient de la poudre aux insurges. Ils se battirent. Un jour Leconte de Lisle fut arrêté et fouillé (dans une ruelle du faubourg Saint-Germain) ; il avait de la poudre dans les poches, on le mit en prison. Pendant 48 heures, « les plus longues de ma vie — disait-il, — je demeurai sous les verrous : cependant comme on m’avait laissé mes livres, ie continuai de traduire Homère.
  2. D’après le récit de Crépet.