Page:Leblond - Leconte de Lisle, 1906, éd2.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du peuple serait cent fois pire qu’il l’accepterait comme la fatalité ; sans s’en prendre à personne, ni sans songer qu’il y a un remède possible… Ce qui manque radicalement à ce pays (et j’ai pu m’assurer que ce mouvement s’applique à tout l’Ouest), c’est l’initiative, l’éveil. La vie s’y passe dans la somnolence et on ne s’indigne que contre ceux qui viennent troubler ce nonchalant repos.


C’est ce terrain très dur sous une molle couche superficielle, que Leconte de Lisle dut travailler et son effort se brisa. Il dut fuir la foule décidée à quelque acte de brutalité. Un soir, qu’il avait dit la vanité de ses religions, la foule voulut le lapider. Il dut se dérober, sauter par les fenêtres et ne put même échapper à tout danger que grâce au sous-préfet Janvier de la Motte, qui favorisa son départ[1].

On ne sait s’il a pris part aux journées de Février. Mais on ne doit rien conclure de ce que le silence et l’ombre nous voilent sa conduite en ces grandes heures. La lumière qui éclaire pour ceux de l’avenir de telles journées n’agit que comme les feux tournants d’un phare : la distribution en est tout arbitraire et fortuite. Celui-ci, passant d’une minute, se trouve illuminé d’une lueur d’apothéose, à jamais dramatisé en un héroïque décor, qui ne fut souvent des plus ardents ni fermement convaincus, tandis que non loin, en des parties où la lueur ne se projette pas, se battent obstinément des êtres qui agissent sous l’impulsion d’une foi assurée. Ainsi, au carrefour de Buci, le 24 février au soir,

  1. D’après des parents eux-mêmes renseignés par M. Louis Leconte et M. de Heredia.