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trapera à me faire le délégué de brutes semblables[1] ». Il est immobilisé. Le 13 avril arrivent à Dinan le commissaire de la République pour le département des Côtes-du-Nord, et M. Rocher, commissaire général des cinq départements de Bretagne. M. le maire illustre l’entrée des fonctionnaires d’un discours de savante modération, et le 14 c’est la cérémonie qu’immortalisa l’historien de Bouvard et Pécuchet, la plantation du Chêne de la Liberté : sur la place Du Guesclin, au milieu d’une foule pressée, l’arbre symbolique s’arbore solennellement. L’un des vénérables pasteurs de l’endroit prononce un « excellent discours sur la vraie liberté, l’égalité et la fraternité » ; le clergé, la Garde nationale, les pompiers et toutes les autorités sont en présence[2]. L’odieux comique des simagrées officielles, amplifié par le masque de routine de la vieille province, dut frapper autant que Flaubert le démocrate affiné du plus ironiste des grotesqueries humaines. La glorification de la République par un membre du clergé, en cette province de France noircie par le cléricalisme, dut lui être un singulier symbole, le bourgeoisisme du milieu achevant de solenniser la fête patriotique de tristes attitudes et de cérémonial d’enterrement : ses lettres le montrent irrité, stupéfait et sarcastique.

Cependant il ne se découragea point, malgré que les prochaines élections ne lui promissent depuis longtemps rien de bon. Ses efforts s’épuisèrent à l’hostile inertie du milieu. Assurément — des let-

  1. Lettre à Ménard : 6 avril 1848.
  2. Lesage, id.