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de là-bas ; et… » Il veut la caresser. Comme elle le repousse avec colère, il lui accorde de la reconduire chez elle ; et elle lui promet sa grâce. Mais son père a décidé de tuer tout de même Sacatove :


Il ne comprit pas en effet ce qu’il avait fallu à Sacatove de force d’âme et de générosité pour se dessaisir d’une femme que nul au monde ne pouvait lui ravir. Il ne se souvint que du double outrage de son esclave et jura de lui en infliger le châtiment de ses propres mains. Il n’attendit pas longtemps. Un matin qu’il chassait sur les limites du bois, et au moment où il mettait en joue, Sacatove se présenta devant lui. Il était nu comme toujours, sans armes et les mains croisées derrière le dos.

— Bonjour, maître, dit-il, mademoiselle Maria se porte-t-elle bien ?

— Ah ! chien ! s’écria la créole, et il lâcha le coup de fusil.

La balle effleura l’épaule du noir qui bondit en avant et saisissant le jeune homme par le milieu du corps, l’éleva au-dessus de sa tête comme pour le briser sur le sol. Mais ce moment de colère ne dura pas. Il le déposa sur ses pieds et lui dit avec calme :

— Recommencez, maître ; Sacatove est malheureux maintenant ; il n’aime plus les bois, et veut aller au grand pays du bon Dieu où les blancs et les noirs sont frères !

Le créole ramassa froidement son arme, la chargea de même et le tua à bout portant. Ainsi mourut Sacatove, le célèbre marron. Sa jeune maîtresse se maria peu de temps après à Saint-Paul, et l’on ne dit pas que son premier-né ait eu la peau moins blanche qu’elle.


Mieux qu’en détaillant à la façon nerveuse de Bernardin les désolantes scènes de pleurs, de cris,