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pacifique, au milieu des vieux nobles émigrés à la Révolution et qui avaient pris les habitudes négligées des noirs, des fils de famille oisifs et arrogants, des petits blancs riches, tenaces et ambitieux, société inconnue aux Européens qui n’imaginaient les mœurs des Français des Indes que d’après Paul et Virginie, il plaça l’esclave, le nègre obscur et travailleur. Il le connaissait mieux que Bernardin pour avoir vécu près de lui dès l’enfance, lui avoir demandé des chansons, des récits et des nids d’oiseaux sauvages, pour avoir admiré sa souplesse physique à l’effort, pour avoir partagé son silence doux et songeur, pour s’être senti enveloppé de cette affection familière et réservée que l’esclave témoigne au fils du chef :


Sacatove était d’un naturel si doux et d’un caractère si gai, il s’habitua à parler créole avec tant de facilité, que son maître leprit en amitié. Durant quatre années entières, il ne commit aucune faute qui pût lui mériter un châtiment quelconque. Son discernement et sa conduite exemplaire devinrent proverbiaux à dix lieues à la ronde. Son maître le fit commandeur malgré son âge, et les noirs s’accoutumèrent à le considérer comme un supérieur naturel.


Un jour il part « au marron » et revient pour enlever la fille de son maître. Emportée dans une caverne où il a tout apprêté pour la recevoir, la vierge blanche lui demande : « — N’étais-tu pas le mieux traité de nos noirs ? Pourquoi es-tu passé marron ? — Ah ! fit Sacatove en riant naïvement, c’est que je voulais être un peu libre aussi, maîtresse ! Et puis, j’avais le dessein de vous emporter