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avait coutume de descendre à la ville, il était allé au devant du manchy qui la portait.


Les noirs prirent le parti de déposer le manchy à terre et d’avertir leur maîtresse qu’un jeune blanc les empêchait d’avancer.

— Louis ! cria une voix aigre, fausse, perçante, saccadée, méchante et inintelligente. Louis, si le manchy n’est pas au quartier dans 10 minutes, tu recevras 25 coups de chabouc ce soir !

Le pauvre diable de commandeur noir fit soulever sa maîtresse à la hâte et allait se remettre en route ; mais je descendis de cheval, je l’arrêtai, puis je m’approchai du manchy et demandai à la plus ravissante tête de femme que j’aie vue et que je verrai jamais :

— Madame ou mademoiselle, veuillez avoir la bonté de me dire si la voix que je viens d’entendre est bien la vôtre.

— Que vous importe ! répondit l’horrible accent en déchirant des lèvres de corail. Laissez-moi passer, monsieur. Quant à Louis il aura ce soir 25 coups de chabouc.

Je pris une pose grave et triste. J’étendis la main vers cette perle de la nature matérielle qui ne renfermait pas d’âme et je dis :

— Madame, je ne vous aime plus !

Il croyait assez à la sensibilité poétique du noir pour lui faire dire en vers naïfs et presque zézayés les joies libres de la pêche en pirogue sur les rades de Bourbon dans « Un chant de Nègre pêcheur » inspiré peut-être par les cours que M. Marmier professait à la Faculté de Rennes sur la poésie des noirs :


L’oiseau chante en battant de l’aile,