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Et voici qu’au XIXe siècle, à l’apogée de la civilisation, la justice et le droit sont encore le cri de l’avenir et la condamnation du présent : cri sublime arraché des entrailles de tout ce qui souffre, protestation universelle des peuples aux rois, des faibles au fort, des hommes à Dieu.

Est-ce donc vainement que tant de noble sang a coulé, que tant de bûchers romains ont dévoré de prophètes-martyrs, que tant de paroles et d’œuvres généreuses ont troublé l’âme des oppresseurs, que tant de révolutions terribles ont remué de fond en comble les sociétés mauvaises ? Ce long travail de l’humanité entrepris et rudement mené à fin jusqu’à ce jour, au nom de la justice et du droit, était-il coupable, était-il inutile et va-t-il cesser ?… Non, non ! Que nul ne défaille et ne désespère. Les hommes qui de tout temps se sont dévoués à leurs frères opprimés n’auront souffert en vain. Ils ont vécu, ils ont lutté, ils ont scellé de leur sang cet idéal de gloire et de bonheur, cette espérance[1] divine, inhérente à l’esprit humain ; ils ont quitté la terre en se léguant tour à tour leur tâche inachevée, mais que l’avenir accomplira. Ne doutons pas de leur foi, ne doutons pas de leur martyre ; ne blasphémons[1] pas leur vie et leur mort ; c’est là notre plus précieux héritage, c’est la sanction du rôle[1] sublime que doit jouer l’humanité. N’oublions donc jamais les principes éternels, supérieurs aux intérêts, aux hommes, aux époques ; les principes inaltérables qui vivifient toute intelligence[2] — la justice et le droit qui régénèrent la terre en s’incarnant dans les faits. Astres tutélaires, ils ont guidé durant la nuit d’hier les explorateurs de l’avenir au-delà des mers inconnues !

  1. a, b et c Se rapporter au premier chapitre. L’identité des mots — de 1837 à 1846 et à plus tard — établit la constance et la fermeté de la pensée.
  2. Voir les lettres de 1843.