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faut négliger de reporter à cette date, Orphée et Chiron, mais, seul social entre tous, Niobé, clôt la série inconnue des vastes poèmes sociaux de Leçonte de Lisle. En Niobé il personnifie génialement l’Humanité qui voit mourir ses fils, les poètes, l’Humanité immortelle en proie à ce spectacle.


Tu vis ! Tu vis encor ! Sous ta robe insensible
Ton cœur est dévoré d’un sonisçe indestructible !
Tu vois de les grands yeux vides comme la nuit
Tes enfants adorés que la haine poursuit !
Ô pale Niobé ! grande mère en détresse
Leur regard défaillant l’appelle et te caresse…


Le supplice de Niobé sera-t-il éternel, toujours doit-elle souffrir dans le meilleur de sa race ?


Non ! s’il est vrai que l’âme aux lyres des poètes
Parfois ait délié la langue des prophètes ;
Si le feu qui me luit éclaire l’avenir.
Ô mère ! ton supplice un jour devra finir.
… Un grand jour brillera dans notre nuit amère…
Attends ! et ce jour-là tu renaîtras, ô mère !
Dans ta blancheur divine et ta sérénité ;
Tu briseras le marbre et l’immobilité ;
Ton cœur fera bondir la poitrine féconde ;
Ton palais couvrira la surface du monde,
Et tes enfants, frappés par des dieux rejetés,
Seuls dieux toujours vivants, que l’amour multiplie.
Guérissant des humains l’inquiète folie,
Chanteront ton orgueil sublime et ta beauté,
Ô fille de Tantale ! ô mère Humanité[1] !



Ces poèmes révélèrent Leconte de Lisle à l’admiration des jeunes écrivains socialistes de 1848 et

  1. Ces vers n’ont pas été insérés dans les éditions Lemerre. — Ce dénouement optimiste fut écrit, selon les lettres de Leconte de
    Lisle à Bénézite, les jours de cruelles privations.