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L’ENFANCE DANS L’ÎLE

vers qu’il écrivit pour ses amis, ses lettres, ses papiers, des phrases fidèlement recueillies, des traditions, des souvenirs évoqués et des paysages vus, permettent de faire revivre, avec une suffisante exactitude, la physionomie impérieuse et souriante de ces années d’adolescence.

Au milieu de la beauté farouche et douce, qui « palpite » alentour, leurs jeunes âmes s’exaltent aux noblesses de la vie, en généreux propos, et les « soirs s’écoulent sur la grève au bruit pensif du flot que la vague soulève » à agiter, rythme sonore en leurs « cerveaux ardents », des « rêves de liberté[1] » ; causeries clairsemées au long des promenades par les routes et la plage, dissertations juvénilement graves en quelque retrait de la côte tourmentée de Saint-Gilles. Ils « parlent politique et religion », et, « premiers bégaiements que lui arrache un instinct de justice sociale et religieuse », Leconte de Lisle « divague sur l’iniquité romaine ».

Il importe de le noter dès maintenant : le poète de la Bête Ecarlate ne procède nullement de Hugo, à cette époque orléaniste et pair de France, et dont les pièces les plus anticléricales, notamment, de la Légendes des siècles, sont d’ailleurs bien posté-

  1. Ces expressions sont rapportées de la pièce le Départ, qu’il composa en 1887, à l’occasion de son départ de la Réunion pour la France et qui porte l’épigraphe : À mes amis, et des lettres écrites à son ami Adamolle. Les autographes se trouvent au lycée Leconte de Lisle (Saint-Denis, île de la Réunion). Leconte de Lisle y parle de « soirs écoulés sur la grève » et qu’il évoquera plus tard avec précision dans Utra cœlos :

    Quand je restai couché sur le sable des grèves,
    La face vers le ciel et vers la liberté ! etc.