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ces incertitudes du Bien et du Mai, qui sont susceptibles de décourager les bonnes volontés, il assigne au poète son rôle qui est de foi, d’énergie, d’inlassable combativité. À travers les duels du Bien et du Mal, le Poète poursuit une mission triomphante.

Il a imaginé que sous ses yeux exaltés croissait de la terre nue une moisson heureuse. Mais vite surfissent la ronce et l’ivraie : elles détruisent la féconde floraison, elles étouffent les blonds épis, elles étreignent les splendides ondulations du Bien :


Ô sombre vision, douloureuse pensée,
Inévitable lutte où l’âme est terrassée !
Faut-il, te proclamant, sens terrible et vainqueur
Aux étreintes du mal abandonner son cœur ?
Faut-il, ô triste voix, si ta parole est sûre
Accepter, résignés, l’éternelle blessure ?…
… Non ! quel que soit le bruit dont tressaille le monde,
Rire glacé du mal, torture, insulte immonde,
Invincible désir sans cesse inassouvi.
Toujours insaisissable et toujours poursuivi.
Non ! quelle que soit l’ombre où vainement médite
L’humanité perdue en sa robe maudite,
Enfants de Dieu certains de l’appui paternel !
Apôtres ignorés de son dogme éternel !
Vous qui pour la nature inépuisable et belles,
N’avez trouvé jamais votre lyre rebelle ;
Oh ! non, dans ce tumulte où vont mourir vos voix
Comme l’oiseau qui chante en la rumeur des bois, —
Que le siècle aveuglé vous brise et vous comprime
Ne désespérez point de la lutte sublime !
Épis sacrés ! au jour de vos sillons bénis,
Vous vous multiplierez dans les champs rajeunis,
Et, dépassant du front l’ivraie originelle.
Vous deviendrez le pain de la vie éternelle.

Le concept que Leconte de Lisle fonde du Poète s’établit celui d’un Héros infatigable et bienfaisant, et c’est évidemment le Poète qu’il définit encore