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L’ENFANCE DANS L’ÎLE

de soleil, tout se confond dans une universelle évaporation. Car, par delà le rivage au sable noir qu’argenle le ressac d’une vague droite, la mer des Indes, vermeille, en s’élevant vers le ciel, comble l’horizon. Rien ne peut détacher les yeux de l’océan. Tandis que le regard dérive à la sinuosité des courants nacrés, la pensée, dans un éblouissement, se projette, palpite et plane sur la mer — splendide et déserte ainsi qu’au commencement de la vie.

On contemple la mer la journée entière, on habite la mer, l’œil et l’oreille sont emplis de sa miroitante sonorité, tandis que les poumons se gonflent du souffle salin, face à face on est ébloui par l’infinie intelligence des perspectives, on a la fièvre des « au-delà » et des « par-delà ». On juge tout à la mesure de l’espace, dans un vaste ensemble, on a le sens de la terre par rapport au ciel et à l’océan, on assiste au spectacle grandiose et charmant de la création qui se renouvelle d’elle-même, on regarde se former les nuages qui se reflètent à la surface plane, on voit le monde dans son ampleur et dans son déroulement de fraîche éternité, on ne vit pas en face de soi-même, mais en face de l’immensité qui compose rythmiquement ses renaissances.

Sous un firmament léger, la mer, pure, s’offre comme un symbole de la sérénité cristalline. Mais pendant plusieurs mois les raz-de-marée, d’un assaut infatigable, précipitent sur la grève leur clameur de foule, une frénésie romantique et révolutionnaire bat au cœur sauvage des enfants qui regardent avec avidité l’eau s’écraser sur le roc et