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possède Dieu en ses extases esthétiques (voilà pourquoi il goûtera tant le bouddhisme plus tard, en le transformant un peu d’ailleurs, en l’esthétisant) ; le savant, en ses recherches exactes, le socialiste (politique ou poète), en confondant son moi dans la masse de l’humanité qui l’élargit, le divinise.

Et dans une pièce de Leconte de Lisle, datée de 1846 — que ses exécuteurs eussent dû publier, car elle est un document psychologique de première importance et sa valeur formelle égale au moins celle de la Passion — dans la Recherche de Dieu s’accuse sa conception socialiste de la divinité. Le poème est très long et vraiment notable, d’une grandeur austère qui fait souvent penser à Vigny[1] ; même quelques vers d’une grave mélancolie précisent le noble souvenir de l’auteur de Moïse et d’Éloa. Il s’y marque seulement une âpreté plus combative. Déjà Rome, la ville « des cardinaux mondains et des moines moroses », dont il évoque les splendeurs pontificales et un scintillant tableau n’est pour le poète que « la sœur de Gomorrhe », le christianisme enchaîne le globe, « triste et bien-aimé berceau ». Et voici, n’est-ce pas, l’idéal même rêvé du socialiste qui fait briller aux yeux avides de l’humanité contemporaine « l’esprit de la Terre », longtemps blasphémé par « l’homme » désespéré de ne pas trouver Dieu en ce monde, et le lui révélant afin qu’il ait la foi :

  1. Il y a aussi à noter le sentiment très fort de Leconte de Lisle de la divinité, de la beauté et de son utilité à l’organisation sociale. La beauté est le rythme divin sur lequel doit se composer ce vaste poème qui est la société idéale.