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LECONTE DE LISLE

qu’elle est bruyante, et, rousseauiste, il préfère l’homme primitif, naturel, silencieux. Le tapage de l’homme moderne déconcerte le travail. « Ce que je chercherais à Paris (qui toujours l’attire), dit-il dans une lettre du 18 janvier 1845, ne serait pas une vie plus émotionnée[1]. Nul lien de la terre ne me donnera ni ne me retirera ce que j’ai reçu. Ce que je désirerais là-bas c’est au contraire une vie plus calme que celle-ci, plus propice à l’étude et non plus bruyante. J’ai toujours détesté le bruit que les hommes font, et eux aussi ! Au temps de ma jeune jeunesse[2], il me semblait que je les aimais : je me suis aperçu depuis que c’est vraiment une race maudite. Aussi la tâche sainte est-elle de les ramener dans Éden si faire se peut. »

*

Il faut distinguer nettement, ne pas prendre les mots à la lettre, pénétrer ce pessimisme, certes profond, mais juvénile. C’est exactement, il est vrai, le temps des plus sombres rêveries, en la solitude de sa chambre ou celle des sites âpres comme cet entonnoir de la Ravine Saint-Gilles qu’il évoquera plus tard. Mais s’il invective la race maudite, il ne faut crier trop vite ni uniment à la misanthropie, même génialement poétique comme

  1. Souligné par L. de L.
  2. Il dit même qu’il ne peut pas avoir l’heureuse quiétude qu’on lui suppose parce qu’il faudrait pour cela qu’il puisse s’abstraire.