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LECONTE DE LISLE

les cocotiers se perchant au-dessus des papayers, laissent avec des scintillements d’oiseaux retomber leurs feuilles longues en forme de plumages entre les masses de letchys sombres et vernies comme l’Afrique, les manguiers bronzés de l’Inde, les takamakas malgaches, les girofliers des Moluques et les mangoustans soyeux de la Chine. Un encens de lumière mordoré voile d’une poussière de paillettes ces feuillages divers et inséparables, où les toits des maisons, toutes bâties de bois du pays, n’apparaissent que roux comme des écorces, grisâtres, onduleusement, comme des lichens, ou parfois du rose poreux des grappes de letchys. Les yeux sont aveuglés de cette beauté confuse et souriante aux teintes permanentes de printemps et d’aurore. On ne voit plus ; on entend un bruissement changeant et incessamment matinal. À l’entour sifflent les bengalis d’Asie, les perruches et les colibris, et soudain, dans le silence humide et crépitant comme la rosée, un bœuf de Tamatave pousse un mugissement caverneux : puis tout retombe dans le mystère des mélodies infinies où toutes les rumeurs se roulent dans le grondement lointain des flots. L’âme est confondue d’harmonie et de mutisme. Par les ondulations de l’air se propage l’émanation mielleuse des fleurs de liane, se répand l’odeur des sucreries. L’enfant mobile sous les bosquets aspire délicieusement les senteurs locales, il marche dans l’exhalaison des orangers et des bigarradiers. Mais avancé au bord des terrasses d’où l’on domine l’étendue, les bruits et les parfums de la terre ne parviennent plus que comme une brume de sons et