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trop fier, trop prétentieux, trop intransigeant et scrupuleux jusqu’au ridicule. On ne peut le comprendre.

À consulter ses lettres, il semble qu’il y passe bon nombre des plus mornes jours de sa vie. Il n’a point d’ami avec qui s’entretenir de choses intéressantes et compte les heures, une à une, même littéralement : « Voici 14 mois que je suis à Bourbon — 420 jours de supplice continu ; — 1.080 heures de misère morale — 60.480 minutes d’enfer[1]. »

Et celui qui le comprendrait, son cher ami Adamolle, est loin de lui, au moment où plus que jamais il a besoin d’un confident. Plus de conversations élevées, plus de causeries d’idées, plus d’épanchement dans un cœur loyal. Il est réduit à écrire des lettres de temps à autre.

Peut-être d’ailleurs faut-il rendre grâce à cette absence de l’ami, à cet entourage odieusement banal qui force le jeune homme sévère à s’enfermer dans sa « tour de verdure », dans sa case, enveloppée de l’ombre noire et veloutée des manguiers épanouis sous le ciel bleu ? Il se recueille, il sonde sa conscience, il rêve. Les troubles intimes labourent l’âme où s’épanouiront les fleurs de la mélancolie et de la pitié. Le jeune homme austère savoure les délices de la solitude où la pensée s’enhardit et prend librement son essor. Il est seul dans son rêve comme l’oiseau des hauteurs dans son aire et il n’en sort que pour planer.

Cette fois encore c’est l’amitié[2] qui entretient

  1. Lettre de janvier 1845.
  2. Et encore à Paris en 1845-1848, ses lettres à Bénézit qui l’in-