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LECONTE DE LISLE

la surveillance si inintelligente mais intermittente de l’oncle, la continuelle présence, lourde, énervante, d’un père dur, intransigeant, acariâtre. Sans cesse l’on raille « le poète[1] ». Seule, la mère console le fils de son inépuisable tendresse ; elle a toute confiance en l’avenir[2].

Hors de la maison, comme un mur qui le sépare de la nature sauvage de l’île, l’arrête aussitôt le spectacle de dure servitude, l’horreur persistante du régime de l’esclavage.

« Tout le long du jour, écrit Mme Dornis dont la belle page vibre des paroles mêmes entendues du poète, il était poursuivi par les cris des noirs qu’on frappait. Devant les cases mal closes, il entendait les hurlements plaintifs, les supplications désespérées : « Grâce, maître, grâce ! » et ce cri lamentable, dont il s’était déshabitué, le déchirait à présent, l’affolait. Mais s’il était blessé des souffrances de toute cette chair noire, l’indifférence de ceux qui la torturaient lui semblait plus avilissante encore. Il regardait les jeunes créoles passer, blanches et délicates, drapées de claires mousselines, telles que des anges de lumière devant les cases entr’ouvertes. Elles entendaient les gémissements, avec un sou-

    haute philosophie et des principes irréprochables. Quelle métamorphose ! Grand Dieu !

    « Accuse-moi réception de ce petit bout de lettre, afin que je sache si tu seras à même de recevoir mes autres lettres.

    « Ton ami de cœur.

    « Charles me prie de te faire mille amitiés et d’obtenir son pardon. »

  1. D’après le témoignage de proches parents.
  2. Quelques-unes des plus heureuses années de Mme Leconte de Lisle furent celles qu’elle passa avec son fils à Paris. Elle avait beaucoup souffert auparavant.