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LECONTE DE LISLE

rêve jusqu’où puisse monter la méditation de l’homme. Dieu est le rêve de l’individu devant le monde :


          À l’heure du délire où l’âme
Par élans d’infinis, rêve au dernier séjour
Qu’il est doux, qu’il est doux, loin de la terre infime
                    De s’élancer vers son Dieu !


La prière est un art ; Dieu est la conception de chaque génie individuel. Les beaux âges, il le formulera plus tard, sont ceux où Dieu était le rêve commun d’une humanité fraternelle, où il était la création d’une masse harmonieuse. Dans le Chant alterné (1838), faisant parler la divinité de la beauté grecque, il avait d’abord écrit :


Déesse athénienne, aux tissus diaphanes,
Praxitèle jadis me créa de ses mains,


qu’il modifia en :


Ton peuple, ô blanche Hellas, me créa de ses mains.


On peut affirmer que quand il regrette amèrement qu’il n’y ait plus d’Idéal, de Dieu, c’est, très sensiblement, parce qu’en le rêve de Dieu battait un cœur commun.


Pour quel Dieu désormais brûler l’orge et le sel ?
Sur quel autel détruit verser les vins mystiques ?
Pour qui faire chanter les livres prophétiques
Et battre un même cœur dans l’homme universel ?


Faute d’un Dieu où se fondre avec toute l’humanité, il y a la mort :


Que j’aimerai sentir, libre des maux soufferts,
Ce qui fut moi rentrer dans la commune cendre !