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LECONTE DE LISLE

Né sous le ciel immortel de la Grèce, nourri depuis son enfance d’études enthousiastes et sérieuses, il s’était laissé éblouir par le glorieux éclat du passé. La sublime et douloureuse tristesse de la Grâce chrétienne échappait à ses regards, la patrie antique et libre l’emportait en attraits irrésistibles sur la patrie esclave des siècles modernes. Pourquoi cet aveuglement coupable ou incompréhensible du poète ? Pourquoi chanter toujours le bonheur passé en oubliant les nobles consolations qu’il eût été doux et beau d’offrir à la glorieuse martyre ? — On ne saurait le dire. Ses traditions innées remontaient trop haut. Il lui appartenait peut-être de s’écrier en vers contemporains.


Paganisme immortel[1] ! es-tu mort ? — On le dit,
Mais Pan tout bas s’en moque et la Syrène en rit…


Le poète a une mission : il doit agir sur la société à laquelle il appartient. Pourquoi condamne-t-il encore la mysticité allemande, sinon parce qu’en détournant les jeunes générations « du contact social » de leur milieu elle en fait des désespérés, partant des inutiles, en les désadaptant :


Les dernières années du XVIIIe siècle et les premières du XIXe seront célèbres dans l’histoire littéraire par les effets de ce fanatisme sentimental qui déborda sur l’Allemagne spiritualiste des écrits de Jean-Paul et de Gœthe. Titan, ce siècle personnifié, cette œuvre géante de Richter, avait porté jusqu’au sublime de l’idéal l’enthousiasme romanesque que l’auteur de Faust appliquait à la vie intime, et qui, froissé du contact social, con-

  1. On voit à quel point il serait faux de s’appuyer sur le mot de chrétien dont il vient de se servir pour accuser de catholicisme le spiritualisme, tout panthéiste, de Leconte de Lisle.