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LES DÉBUTS DANS LA LITTÉRATURE


À cette époque l’œuvre de George Sand répandit sur Leconte de Lisle une influence aussi vivement révélatrice que celle qu’il devait recevoir des poèmes hindous. Par elle il s’initiait à une sorte de panthéisine septentrional où l’âme européenne, avec une ferveur encore toute fiévreuse et une religiosité anticatholique, s’éperdait dans l’amour sublime et confus de la nature. Bien plus que Hugo, Barbier ou Lamartine, c’est George Sand que rappellent alors tous ses poèmes, George Sand, génie orageux et tendre, romanesque et humanitaire, spiritualiste et républicain, passionné d’indépendance et de dévouement, qui a été aimé et qui a souffert avec un sombre éclat, qui, dans l’isolement hors de la vie bourgeoise, tresse de ses plus amers chagrins son courage social, George Sand qui possède la beauté féminine d’une créole et le génie mâle, est le poète qui devait le plus émerveiller ce jeune païen mystique, le plus enthousiaste des amants platoniques, cet adolescent pauvre, solitaire et farouche.

Le caractère essentiel de l’art étant la spontanéité[1], il est nécessaire que l’artiste cherche son inspiration dans le présent. Il n’y a en effet pas un poème dans le Cœur et l’âme qui soit une évocation de l’histoire » tableau hindou, fresque biblique ou architecture hellénique. De quoi s’étonne Leconte de Lisle à propos de Chénier ?

  1. « À défaut de spontanéité dans l’art, encore faut-il de l’étude, car alors le succès, pour être moins beau, n’en a pas moins une base solide sur laquelle il peut s’appuyer et grandir. Mais non, aveuglés par l’éclat du rythme, les jeunes littérateurs n’ont fait qu’une copie de rythme. » Étude sur Chénier.