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LECONTE DE LISLE

vierge de tout contact. À vous l’amour, mon ami, c’est-à-dire toutes les illusions que la femme laisse flotter autour d’elles comme un voile pudique ; à vous le don d’admirer, sans y toucher, la grâce externe et interne de cet être privilégié. Pour moi j’ai levé le voile, j’ai sèchement analysé l’âme que vous respectez ; il ne me reste rien.


Il a levé le voile : il est blasé. Notez que dans cette même lettre il dit en parlant de Mlle Beamish : « Avez-vous donc pris Mlle C. Beamish pour une création mienne ? Merci de vos éloges, mon ami. Mais croyez-le, je n’invente pas aussi bien. L’artiste, ici, c’est Dieu. » C’est bien en vérité d’un jeune homme qui a perdu ses illusions sur la femme de tomber langoureusement épris de toutes les jeunes filles qu’il voit, après les jeunes filles de Bourbon de la Hollandaise du Cap, après Mlle Caroline Beamish de sa sœur Maria, d’être transporté par leur visage de grâce, de bonté et d’intelligence au point de les saluer « anges », de désirer se précipiter à genoux devant elles, de leur adresser des poèmes d’un idéalisme mélodieux où s’exaltent des séraphins et des rayons, de l’azur et des ailes, de l’adoration, de l’extase ? Il déclare en prose : « Soyez bien persuadé que jamais nulle femme ne m’inspirera d’amour à moins qu’elle ne ressemble à mes rêves ; car jamais je n’aimerai que mes idéalités, ou plutôt mes impossibilités. » Mais, comme il faut ne jurer de rien, il sera obligé d’avouer en des vers consacrés à Mlle Maria Beamish : « Cher ange, de l’amour, oh ! ce n’est point un rêve !… »

La réalité tient en cela qu’il est très amoureux de