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— Mais les coffres avec de l’or dedans ?

— Les coffres dans lesquels les ouvriers mettent leurs outils.

— Mais les géants qui cognaient à la porte ?

— Ces mêmes ouvriers qui viennent travailler à la caverne. Car la caverne, c’est tout simplement une carrière en exploitation. J’ai fait fermer la porte par un des « nains » demeuré en arrière. Furieux de ne pas entrer à l’heure de leur travail, les ouvriers ont cogné à coups de pioche, et votre imagination a grossi démesurément le bruit qu’ils causaient et que répercutait l’écho.

Pierre poussa un gros soupir. Pour le consoler, François ajouta :

— Oui, je sais, la mystification a été trop rude. Je me la reproche, car j’ai été beaucoup plus loin que ta maman n’aurait voulu. C’était si amusant ! Elle n’a pas connu les détails. Je t’en demande pardon de tout cœur. Seulement je savais que Violette et toi êtes très courageux et que cette épreuve ne serait pas au-dessus de vos forces.

François parlait avec l’autorité d’un vrai petit homme. Voyant la mine déconfite de Pierre et celle, moitié chagrine, moitié drôle, de Violette, il ajouta gravement, en tendant la main vers le bourg où l’on voyait les cheminées d’usines lancer dans le ciel leurs affreux flocons noirs :

— Vois-tu, mon Pierrot, avant tout dans la vie, il faut savoir « coller au réel », comme dit papa. Il ne faut pas vivre dans les nuages, le nez au vent, en attendant que mesdames les fées vous envoient la fortune et le bonheur. Quand j’étais petit (François, qui n’était pas encore bien grand, se dressa sur ses talons), papa me disait toujours : « Les vraies fées d’aujourd’hui, c’est la fée électricité, la fée mécanique, la fée vapeur, et la reine des fées, c’est la fée travail. » Eh ! oui, je sais, c’est moins amusant, mais c’est beau tout de même, plus beau même, car c’est nous qui les conduisons, ces fées-là. Un jour, plus tard, tu verras ça à notre usine et tu seras consolé.

Consolé, Pierre ne l’était pas du tout. Il descendait de très haut, il descendait du dos de la Chimère. Et c’est toujours un art bien difficile que celui de quitter les folles rêveries et les songeries douces qui, dès l’enfance, trompent les douleurs de la vie, pour accepter, avec celle-ci, la lutte corps à corps qui doit durer jusqu’à l’heure dernière…

Il serra tout de même la main de François, car il devinait bien que celui-