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ses lèvres minces tandis qu’elle écoutait le récit de « la caverne et des nains ». Mais elle demeura très grave quand lui fut contée l’aventure de Barbe-Bleue.

Elle n’avait plus du tout l’air follet en entendant la merveilleuse histoire du cabinet maudit et des sept femmes.

À des yeux plus expérimentés que ceux de l’enfance il aurait bien apparu d’ailleurs, que cette bizarre petite créature, déséquilibrée par quelque affreux chagrin, passait rapidement de la folie à la lucidité, ce qui la rendait étrangement déconcertante.

— M. de Vauderland… disait-elle… oui… oui… je sais qui c’est, il est très bon. Il donne la moitié de ses biens aux pauvres…

Alors, très en confiance, Pierre interrogea :

— Mais, alors, madame, pourquoi est-il si laid, pourquoi a-t-il de si vieux vêtements ?

— Mon enfant, reprit gravement Folette, il a de vieux vêtements parce qu’il se prive, je vous l’ai dit, pour les malheureux. Il vous paraît laid, soupira-t-elle, parce qu’il a beaucoup souffert et vieilli.

Et comme elle parlait volontiers par aphorisme, elle ajouta en levant vers le ciel son petit index desséché :

— Oyez, oyez-moi bien, mon fiston, l’habit ne fait pas le moine ; il ne faut jamais se fier aux apparences, il ne faut jamais juger les gens sur leur mine…

Pierre, un peu déconcerté, ne disait mot.

— Beau prince, ajouta-t-elle, il faut revenir dans la forêt, vous y apprendrez beaucoup de choses. Vous la croyez enchantée ? Peut-être… Son véritable enchantement, c’est celui de la nature… créée par Dieu.

Puis, l’œil plus vague, elle ajouta :

— Regardez donc cette belle libellule qui vole sur la rivière ! N’est-ce pas une enchanteresse ? Le frisson de l’air pur passe dans ses ailes, le ciel a coloré sa tête, il y a sur son corps métallique toutes les couleurs du prisme, toutes les caresses des étoiles, du soleil et de la lune. N’est-ce pas un enchantement, un véritable enchantement que tous les présents de la nature ; et ne vaut-il pas mieux que celui des fées ?

Quiée !

Après une révérence, Folette rentra dans son moulin. Les enfants ne comprirent pas…



XII

Du rêve à la réalité


— Allons, allons, mon petit Pierrot, comme tu es paresseux ce matin ! Déjeune donc vite.

Mme Boisgarnier ouvrit elle-même les persiennes, et la lumière radieuse du matin prit tout de suite possession de la chambre.

À côté du lit, le chocolat fumant envoyait consciencieusement vers le plafond, comme une usine domestique, ses petites spirales odorantes. À côté, gisaient dans la soucoupe deux longues tartines de pain grillé posées là comme deux semelles de ramoneur. Pierre s’étira, les membres endoloris, les yeux lourds.

Il était très fatigué, les nerfs ébranlés par les événements de la veille : la danse des nains et la visite à Barbe-Bleue.