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d’hiver ; il y a des abricots aux joues roses et des brugnons duvetés, dont les chaudes couleurs se marient à celles des raisins juteux et des savoureuses pêches aussi douces que des lèvres d’enfant. C’est magnifique.

L’eau venait déjà à la bouche des deux petits qu’embarrasse fort la difficulté du choix. Et puis ce qu’il y avait vraiment d’inouï, c’est que la méchante sœur de Cendrillon les avait suivis tout à fait affable.

Avec la meilleure grâce du monde et un sourire qui rend son visage presque acceptable, elle se multiplie maintenant en des offres aimables, saupoudrant les présents du ciel d’un sucre abondant, remuant avec célérité les cuillers de vermeil qu’elle trempe dans le lac blanc des crèmes savoureuses.

En eux-mêmes, Pierre et Violette murmurent :

— Comme on va être heureux ! Comme on va être récompensés !

Eh bien, pas du tout !

L’aimable jeune fille qui pleurait (est-ce vraiment bien Cendrillon ?) entre en coup de vent, claque la porte et trépigne avec fureur. Ses jolis yeux sont devenus durs comme du métal. Si elle pouvait, elle transpercerait les enfants du regard comme de deux couteaux bien pointus. Elle crie comme une possédée, elle frappe du pied avec frénésie, elle leur montre le poing et voilà même que cette mauvaise leur tire la langue dans un mouvement désordonné de fille malapprise.

Pierre est furieux. Violette est scandalisée. Tous deux ne comprennent rien à rien de cette scène tragi-comique.

— Mais, Hortense, contiens-toi, dit avec douceur la sœur laide… (qui vraiment ne paraît plus si laide que ça).

— Me contenir ! Ah ! tu me la bailles belle, vilaine chafouine, glapit la jolie fille… (qui vraiment ne paraît plus si jolie que ça). C’est sûrement toi, hirondelle de malheur, qui m’auras trahie ! C’est toi qui auras dit à papa que j’avais été voir mon fiancé ! Est-ce que ça te regarde si je veux l’épouser ?… Oui, oui… je sais, tu es jalouse parce que tu es laide comme une nichée de singes verts… tu veux m’empêcher de me marier. C’est toi, vilaine papelarde, qui auras fait venir ces deux petits cafards. Ah ! ça, tu crois qu’ils vont manger nos bons fruits !

— Voyons, Hortense !

— Tais-toi, Paméla, tais-toi, et mets-moi à la porte ces deux affreux marmots. Hou ! Hou ! sortez vite, petits misérables.

Comme devant la méchante Maria, qui, dans la cuisine des Aubiers, s’emparait d’une serviette pour leur donner la chasse, Pierre et Violette voulurent sauver leur dignité.

Ils n’attendirent point un outrageux traitement et ils sortirent effarés, sans joie, ayant mangé le pain de l’amertume au lieu du savoureux goûter.

Et c’est ainsi que le régiment bien aligné des pommes, des poires et des raisins, dont les chairs succulentes attendaient leur dernière heure, demeurèrent à l’abri des petits crocs enfantins…

Mais en dégringolant l’escalier, Violette et Pierre étaient aussi dépités que furibonds.

Ils ne disaient mot. Ils « ne comprenaient pas » les injustices du sort…