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— C’est ça, c’est tout à fait ça. C’est la même taille, Violette. Oui, c’est une Cendrillon.

— Seulement, c’est triste, fait Violette, parce que ta Cendrillon elle n’a qu’une seule jambe. Regarde, on ne voit les empreintes que d’un pied.

— Dieu ! que tu es étourdie ! Elle n’avait qu’une seule pantoufle. C’est les traces qu’on en voit. Son autre — de pied — il était tout nu, puisque j’ai la pantoufle. Alors, tu comprends, la pluie a effacé la marque du pied qui était tout nu.

— Tu es bien intelligent |

Cette fois, c’est Violette qui, au fond, est un peu mortifiée.

Mais, Seigneur ! Oui vraiment cette forêt est enchantée ! Tous les personnages des contes de Perrault s’y sont-ils donné rendez-vous ? En vérité, c’est bien probable, car dans l’instant que discutent les enfants, un homme (mais oui un vrai) traverse le layon à la croisée de deux chemins. Ce n’est là qu’une vision rapide, à dix mètres à peine… mais cette vision est terrifiante.

L’homme est vêtu d’un habit de drap vert bouteille, comme Pierre jamais n’en vit en la rue Férou ou la rue Garancière. Ce qu’il y a de plus terrifiant sous son chapeau mou rabattu comme celui d’un brigand, c’est une terrible barbe !

Est-elle noire ? Est-elle aile de corbeau ? Est-elle bleue ? En vérité, dans la pénombre on ne distingue guère.

— Elle est bleue ! a dit Pierre en résolvant le problème. Violette, c’est Barbe-Bleue…

Mais si la barbe est bleue, la voix de Pierrot est un peu blanche.

— Ce monsieur-là ? demande Violette assez incrédule.

— Ce n’est pas un monsieur ! c’est un grand criminel. Il a été marié sept fois et a tué ses sept femmes. Violette ne fais pas de bruit. Il accourrait tout de suite pour t’épouser.

— Mais je ne veux pas du tout ! C’est vraiment Barbe-Bleue ? Tu crois ?

— Je crois, je crois, je peux rien affirmer bien sûr, je l’ai jamais vu. Mais Barbe-Bleue avait tout à fait cette tête-là… tout à fait.

Violette commence d’être très impressionnée. Elle veut se rassurer.

— Tu t’imagines des choses…

— Mais non, Violette. C’est peut-être pas un Barbe-Bleue tout à fait « pour de vrai », mais c’est une manière de Barbe-Bleue.

— Je comprends pas.

— Mais si, voyons ! Ainsi tu as des poupées ?

— Oui, Blandine et Catherine. C’est papa qui les a baptisées.

— Eh bien, quand tu couches Blandine et que tu dis qu’elle dort, tu crois bien que c’est une petite fille qui s’appelle Blandine ?

— Oui, je le crois sans le croire.

— Mais non ! tu y crois en y croyant. C’est comme moi. Alors ça devient vrai. Et puis tu as bien vu qu’il avait une barbe toute bleue ?

— Oh ! ça oui ! Pour sûr !

— Y a pas tant d’hommes qui aient la barbe si bleue. Alors ?

— Je comprends pas.

Violette n’aime pas beaucoup les raisonnements. Elle est butée. Et puis qu’est-ce que c’est que « ça » maintenant qui arrive tout à coup pour couper le fil de ses pensées ?

Encore du mystère ? Du même carrefour, mais en sens contraire, vient de déboucher une apparition sans grâce.

Une jeune dame, habillée tout comme