Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pierre se baissa. Sans doute parce qu’il savait qu’il ne faisait pas le mal, le petit monstre ne bougea pas.

Alors Pierre stupéfait vit dans cette masse hideuse deux yeux de topaze, admirables de pureté. Confusément son âme d’enfant comprit alors que la laideur a ses beautés.

— C’est pas beau, mais tout de même c’est peut-être une brave bête, dit-il rêveur.

Il lâcha le caillou. Le crapaud au cœur innocent se remuait avec une lourdeur molle. Il traîna ses chairs pustuleuses vers un trou d’où ce soir, humble mangeur de limaces et vigilant gardien des fraises du potager voisin, il entonnerait sa mélopée douce et triste d’animal déshérité mais utile.

Maintenant une vingtaine de mètres sont franchis. Voici Pierre et Violette au pied du donjon. Il est si-haut, si-haut qu’en levant la tête Pierre aperçoit à peine ses créneaux ; il est si vieux, si vieux, qu’il en fait peur. À peine est-il ajouré de quelques meurtrières et fenêtres à meneaux qui sont comme autant de petits yeux éclairant son hostile visage de pierres grises.

Violette est reprise par « son idée ».

— Tu vois, dit-elle, en désignant une porte ronde hérissée de clous comme un gros soulier, tu vois, ça c’est la porte qu’on n’ouvre pas, que personne ne peut ouvrir.

Pierre a les mains glacées. Il ne dit mot.

— La porte qu’on n’ouvre pas, mais qui s’ouvre toute seule, ajoute Violette. Monte avec moi sur le vieux perron. Là, c’est ça. Mais laisse-moi donc un peu de place. Voyons ! Ça va bien. Moi, je reste sur cette dalle-là. Toi, mets-toi bien au milieu. Tu vas parler. Personne ne nous regarde ? Non. Allons ! une, deux, trois ! Prononce les mots.

D’une voix forte mais un peu blanche, Pierre s’écrie, comme dans le conte d’Ali Baba et des quarante voleurs :

— Sésame, ouvre-toi !

Une minute s’écoule… très longue… et voici que quelque chose d’inouï se produit alors. De singuliers grincements sortent assurément des entrailles de la terre. La porte hésite, puis, avec mauvais grâce, elle s’ouvre lentement, telle la bouche d’un monstre géant, dans un formidable bruit de gonds rouillés, de chaînes, de poulies.

Ah ça, vraiment, c’est extraordinaire ! Les jambes de Pierre flageolent. Il n’en revient pas, comme on dit vulgairement. Jamais il n’aurait cru entrer si vite dans le royaume des fantasmagories. Un effroi qui n’est pas sans douceur se dispute en lui avec la joie.

— Vite ! Vite ! crie Violette toute rieuse.

Et les voilà tous deux qui montent un obscur escalier en limaçon, sous le regard malveillant des araignées dérangées de leur obscure besogne de petites fileuses.

— Ça c’est la grande salle, proclame enfin Violette essoufflée. Tout ça c’est à papa. Y en a des choses ! Mais on ne peut pas monter plus haut. Viens donc voir par les meurtrières. Tiens, grimpe avec moi sur cet escabeau. Prends la lunette d’approche qui est là dans le coin. En nous serrant bien, nous pourrons regarder tous les deux par cette fenêtre-là.