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Dans l’instant que Violette toute joyeuse lui faisait admirer les doux rongeurs au poil lustré, une rumeur fatale emplit la cour.

Les sabots d’une vieille femme, femme de basse-cour de son état, heurtaient le pavé avec la majestueuse assurance de celle qui vient, au nom du Destin, accomplir un rite sanglant et sacré.

— C’est Caroline, soupira Violette à voix basse.

Caroline passa. Elle passa comme une Parque, de futaine vêtue, sans honorer les enfants d’un regard.

Caroline avait l’âme ménagère. Elle songeait à assurer le souper du lendemain. Sans hésiter, elle fut quérir dans une cage pleine de crottes de réglisse un jeune lapin qui, battant du tambour avec ses oreilles de petit âne, lui faisait des grimaces comiques en remuant du nez. D’un geste assassin, elle le prit comme un linge sale et, de sa vieille main noire, elle asséna un mauvais coup derrière le crâne innocent du candide lapereau. Et celui-ci retomba inerte, l’œil révulsé, les baguettes de tambour à l’envers, le nez rose frémissant du dernier spasme.

Spectacle abominable ! Il remplit Pierre et même Violette d’horreur. Tous deux demeurèrent un moment figés sur place comme deux statuettes de sel sur le modèle de la femme de Loth, prenant déjà conscience du drame grandiose et mystérieux de la souffrance et de la mort…

Ce moment fut bref. Un tel assassinat devait brouiller encore l’enfant des villes avec la vie des champs qui avait, un moment, conquis son âme neuve.

Les petites filles ont de féminines et précoces impressions. Devinant l’émoi intérieur de Pierre qui voyait toujours, dans son triste rêve intérieur, les petites baguettes de tambour du lapin mort, Violette, prenant d’autorité par la main son compagnon, lui dit impérative :

— Viens-t-en à la cuisine.

— J’aimerais mieux aller à la tour !

— Non. On va s’amuser avec Razibus.

— Le chat ? Crois-tu vraiment que je pourrai causer avec lui comme dans les livres ?

— Oh ! un chat ! t’es bête !

Pierre se laisse conduire par la main. C’est le soir. Les grandes ombres tombent. Sur les pavés luisants et les mares brunes les silhouettes allongées des deux enfants se détachent presque grandioses.

Bientôt ils sont dans la grande salle voûtée où, depuis bien des siècles, on avait préparé bombance pour les sires des Aubiers. Il est d’ailleurs bien déchu maintenant de sa gloire lointaine, ce domaine des casseroles où trônait une bonne fille dont la tête rougeaude de pomme d’api sortait assurément du verger.