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Sur le fumier, dont les brises chaudes montaient au ciel, les pintades, vêtues de robes à petits pois, échangeaient comme dans un salon des caquetages inutiles et discordants.

Des coqs appelaient de leur voix pointue et vaniteuse très fiers de la framboise dont est couronnée leur tête coléreuse. L’air goguenard, et « pas si bête que ça », des oies marchaient comme des mariées de village dans leur toilette blanche, dardant avec ironie le regard de leurs petits yeux en grain de cassis. Puis un sifflement sans utilité sortait de leur bec jaune tel une carotte enfouie dans la neige des plumes.

« Cot, cot, cot, cot… codinc… Voici les enfants, il y a peut-être quelque chose de bon à ramasser », criaient les poules luisantes courant comme des commères qui vont aux nouvelles. Et telles des commères encore toutes parlaient à la fois avec un total mépris des discours de la voisine.

— Là, c’est les moutons, annonça comme un maître de cérémonie Violette très fière.

Elle ouvrit une porte et dans le clair obscur apparut un bélier à la tête satanique dont le corps laineux se soutenait mal sur les jambes maigres en fuseau.

— Ferme vite, dit Pierre, dont l’âme parisienne s’enveloppait de terreurs imprécises. Ça sent mauvais.

— Ça sent mauvais ? répondit Violette humiliée. Eh bien, on va dire bonjour à Victor, ajouta-t-elle en manière de vengeance.

Une autre porte était ouverte sur un logis empesté. Confiant et béat comme un vieux monsieur après un dîner appréciable, Victor dormait sur un lit de paille. Ses oreilles roses aux soies blondes s’agitaient par instants comme des chasse-mouches. Dans sa bonne figure poupine les petits yeux mi-clos disaient seuls toute la malice qu’on peut rencontrer sur le visage d’un mandarin averti des choses de ce monde.

— C’est Victor, annonça Violette en éclatant de rire. Il est bien sage. Tu vois elle est rentrée toute seule ta licorne.

— Mais… c’est… un porc… fait Pierre confondu.

— Oui, c’est le cochon. Il était venu gambader autour de moi pendant que je triais de l’herbe pour les lapins — et puis il s’est sauvé du côté de la citerne où il faisait un bruit d’enfer.

Pierre est très mortifié. Il demande seulement :

— Pourquoi s’appelle-t-il Victor ?

— À la campagne, tous les cochons s’appellent Victor, fait Violette péremptoire. Allons ! viens vite.

Comment se fâcher ? Violette riait de si bon cœur !

Et puis, malgré son idée fixe qui était de monter à la tour, Pierre peu à peu délaissait le domaine des rêves pour goûter les charmes du réel. Cette cour de ferme, ces cris d’animaux, cette arche de Noë, plus vivante certes que celles qui, sentant le bois blanc, la résine et la peinture, descendaient, frigides, au jour de Noël dans les cheminées de la rue Férou… tout cela c’était bien intéressant.

Et voilà qu’on approchait de MM. Jeannots les lapins quand une scène détestable vint, hélas ! lui enseigner la cruauté de la grande tourmente qu’est la vie.