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Là-dessus on tomba mollement d’accord, nul ne voulant paraître insensible aux beautés de l’art. L’église de Caudebec et l’abbaye de Saint-Wandrille furent elles aussi mises hors de cause.

— Mais ce qui m’exaspère, s’écria Régine, c’est l’entêtement de Pascal, après le déjeuner, à continuer la route de Saint-Wandrille au lieu de revenir par Caudebec. Ah ! elle était propre, ta route, des côtes et encore des côtes, en plein soleil, à pied, et une poussière !

— C’est un pays très montagneux par ici.

— Et puis, repartit Régine, pourquoi n’avoir pas pris le train à Yvetot, comme nous le demandions ?… nous arrivions ce soir à Dieppe…

— Mais puisqu’il n’y avait pas de train, répliqua Guillaume nerveusement, il aurait fallu l’attendre deux heures, et puis deux heures encore à Motteville… Autant aller le prendre à Cany, ça descend tout le temps, nous n’avons qu’à patienter jusqu’à ce que le soleil soit moins dur.

Il flambait le soleil, il flambait de toutes ses forces, méchamment, comme s’il le faisait exprès. Il chauffait l’ombre, il déterrait les cailloux, il couvrait le sol d’une vapeur brûlante que l’on sentait lourde, épaisse comme de la matière en fusion.

Pascal gémit :

— Ce n’est plus tenable… marchons… nous trouverons bien une auberge où l’on sera plus à l’aise qu’ici.

Péniblement ils se hissèrent sur leurs machines. Ce fut un douloureux calvaire. En vérité le soleil leur parut un ennemi personnel qui flagellait leur dos et dévorait leur nuque. Ils avaient les tempes prises dans un étau de feu. Vainement courbaient-ils la tête : le soleil était dans la poussière du chemin et dans l’herbe calcinée. Puis la réverbération de la route blanche leur torturait les yeux.

Enfin, au haut d’une côte où ils se traînèrent à pied, les hommes poussant les montures, les femmes exténuées et hargneuses, ils avisèrent une auberge d’aspect convenable. Quelques minutes plus tard, Madeleine et Régine, épongées, frictionnées, la taille libre, reposaient sur un lit tandis qu’au fond d’une salle fraîche leurs maris buvaient une bouteille de cidre.

Vers six heures, le soleil désarma, et l’espace délivré s’emplit d’un doux apaisement. Les dames alors apparurent.

— Nous voilà prêtes.

Elles avaient des visages presque souriants, se sachant propres, les cheveux en ordre, la peau ornée de poudre de riz et la mine correcte. Les machines étaient nettoyées. Tout le monde se sentait dispos et l’on partit allègrement. Cependant, comme le souvenir des mots échangés laissait dans chaque ménage un peu de rancune, les deux couples se disloquè-