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c’est notre devoir. Je ne l’aurais pas demandé avant d’être sûr de moi, et j’en suis sûr depuis cette nuit. En vérité, Madeleine, je n’ai pas souffert et je ne souffre pas, je suis heureux même qu’elle soit à lui. Oh ! mon aimée, je me donne à toi parce que je suis libre et je t’implore parce que tu es libre. Tous les liens sont brisés. Nous ne sommes pas seulement affranchis dans notre corps plus rapide, dans nos sens plus délicats, dans nos oreilles qui savent entendre et dans nos yeux qui savent voir. Nous le sommes aussi dans nos âmes. Elles sont délivrées des souvenirs, des vanités, des habitudes, des préjugés, des mensonges, de tout l’appareil d’entraves dont le monde les embarrassait. Il me semble que mon âme était étouffée et qu’aujourd’hui elle respire, elle regarde, elle écoute. Quelle ivresse, mon Dieu !

Et il reprenait plus ardemment :

Allons-nous-en, Madeleine, c’est notre bonheur, et nous devons obéir à l’ordre de notre bonheur, nous n’étions pas heureux autrefois, nous n’étions pas nous… Allons-nous-en vivre selon nous, selon la vie de solitude et de simplicité qui nous convient. Enfonçons-nous davantage dans la nature. Je t’aime tant, de t’aimer dans ce qui est beau ! Toute la beauté des choses s’ajoute à ta beauté. Je t’aime parce que les fleurs ont de jolies couleurs et de bons parfums, et que le soleil est radieux, et que les collines sont pleines de grâce. Allons-nous-en, Madeleine.

Elle lui sourit affectueusement. Il défaillit de joie, prêt à pleurer.

— Oh ! tu veux bien, tu veux bien, je le devine. Tu m’as souri moins en amante qu’en compagne fidèle, avec attendrissement, avec douceur, avec un peu de tristesse et beaucoup de foi. Toute notre vie, Madeleine, ne sera que la suite de ce sourire.

Elle lui passa les bras autour du cou.

— Tu n’avais pas besoin de prier, mon Pascal. Quand ils sont partis, j’ai bien senti que nous ne les reverrions plus… C’est pourquoi j’ai eu ce mouvement d’angoisse. Mais je le savais, et je te l’ai dit hier, devant la nuit : nous serons l’un à l’autre bientôt. Allons-nous-en, mon Pascal, nous n’avons plus le droit de faire attendre le bonheur…


fin