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Il eut un geste de colère et fit un pas vers elle. Mais il se trouva face à face avec Pascal. Une seconde les deux hommes se défièrent du regard, dressés l’un devant l’autre comme deux ennemis. Ils étaient très pâles. Les femmes se taisaient, anxieuses. Puis Guillaume éclata de rire :

— En vérité, c’est trop bête de se quereller ! Nous sommes libres d’aller où nous voulons… Moi, je préfère aller par là… j’y vais… venez-vous, Régine ? Ils se décideront bien tout seuls.

Sans un mot de plus, il aida Régine à se remettre en selle. Un instant après, ils s’éloignaient.

— Guillaume, Guillaume, cria Madeleine d’une voix suppliante.

Elle s’efforçait de courir, les mains tendues en un élan de détresse et d’effroi. Il ne se retourna point. Alors elle tomba sur le talus.

Un long silence s’ensuivit. Les autres étaient loin déjà. Immobiles, ils les voyaient diminuer, diminuer comme des choses qui vont s’évanouir, se confondre avec l’horizon. Cela ressemblait à des oiseaux dont on suit le vol dans le ciel, des oiseaux qui fuient vers des asiles qu’ils n’ont pas l’air de connaître.

Quand ils eurent disparu, Pascal vint s’agenouiller auprès de Madeleine et ils se regardèrent en tremblant. Il devina que son cœur battait à tout rompre et qu’elle redoutait les paroles imminentes. Ils étaient craintifs tous deux, intimidés comme s’ils se trouvaient ensemble pour la première fois, en quelque solitude insondable. Et il lui dit d’un ton si bas qu’elle entendit à peine :

— Allons-nous-en, allons-nous-en…

Elle frémit. Ses yeux palpitèrent, il répéta plus haut, le doigt pointé vers la route de Bretagne.

— Allons-nous-en, Madeleine, allons-nous-en par là.

Elle se jeta dans ses bras, avide de protection. Elle avait peur de ce qu’il venait de dire, peur de lui et d’elle-même, et elle murmurait :

— Tais-toi, mon chéri.

Il continua, la voix berceuse :

— Allons-nous-en, Madeleine, nous sommes libres de nous en aller, c’est eux qui l’ont voulu ainsi… c’est eux et c’est la vie clairvoyante qui nous a révélé l’un à l’autre… Elle nous a dit que nous étions tous pareils, faits de la même matière et de la même âme. Allons-nous-en, le destin remet les choses à leur place, puisqu’ils sont partis, eux qui se sont reconnus, et qu’ils nous ont laissés, toi et moi. Serons-nous moins braves qu’ils ne le sont ?

— Oh, fit-elle, ils croient que nous allons les rejoindre.

— Qu’en sais-tu ? Et puis, qu’importe ? Je ne le pourrais plus… Il est impossible que cette existence d’hypocrisie se prolonge… Cela nous avilirait, maintenant que nous savons… Voyons, Madeleine, ce voyage finira… et tu admets qu’ensuite je me retrouve avec Régine et toi avec Guillaume ?

— Oh ! non, balbutia-t-elle.

— Alors, allons-nous-en, ma chérie,