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C’étaient d’autres gestes et d’autres regards, doux, affectueux, imprégnés de respect et de gratitude. Il devina la pensée de Madeleine et lui dit en confidence :

— Ce n’est plus une chose, Madeleine, ce n’est plus une petite bête d’acier, non… écoutez… c’est une amie.

Il parlait en toute gravité.

— C’est la nouvelle amie que le destin vient d’accorder à l’homme. Elle est faite de ses fers brisés, et c’est une alliée fidèle et puissante dont il peut user contre ses pires ennemis. Elle est plus forte que la tristesse, plus forte que l’ennui. Elle est forte comme l’espérance. Elle réduit les soucis à leur valeur. Elle nous éloigne du passé, elle nous apprend à vivre dans le présent et à marcher vers l’avenir. C’est la grande délivreuse.

Il la caressa tendrement, et il murmurait :

— Petite amie, chère petite amie… Quand je songe à mes années perdues, à mes années de sommeil, de torpeur, de gêne, d’hypocrisie !… Elle m’a sorti de ces ténèbres pour me conduire à la vérité. Elle a ouvert les portes de ma prison. Elle a ouvert mes yeux et mes oreilles. Je ne savais pas et je sais… Je ne sentais pas et je sens… Peut-être cela se fût-il produit sans elle, peut-être n’a-t-elle été qu’une cause fortuite. Elle n’en est pas moins l’amie à qui je dois la vie et la conscience.

— Nous lui devons surtout de nous aimer, prononça Madeleine.

Ils repartirent, et Pascal ajouta :

— Oui, nous lui devons l’amour, et elle nous l’a donné d’un coup, foudroyant et définitif. Oui, les choses se sont déroulées en toute hâte. Mais c’est qu’elle nous a emportés dans sa course vertigineuse, c’est que nos âmes, comme nos corps, ont volé sur les grandes routes blanches, dans la pureté de l’espace. Nous n’avons fait que la suivre. Nos sentiments, nos émotions ont pris sa spontanéité. On dirait même que les événements se sont rués sur nous comme elle se précipite, elle, à travers les paysages et les horizons. Et je vous aime déjà, Madeleine, avec tout un passé d’amour en moi.

Ils continuèrent à rouler dans un silence ineffable. Ils conservaient le goût des paroles échangées comme on se souvient d’un fruit savoureux. Chacun regardait en soi l’image de l’autre, l’interrogeait sur sa tendresse et lui offrait des paroles passionnées.

— Oh ! le silence, murmura Pascal, jamais elle ne le rompt, elle reste toujours silencieuse, et, par là, elle nous permet le silence. D’ordinaire tout mouvement s’accompagne de bruit, toute vitesse est un fracas, et que ce soit le grondement du train, le galop du cheval, la cadence de la marche, c’est du bruit, du bruit qui agace et qui distrait. Elle est muette, elle, elle va dans le silence, elle est l’amie du silence, et ainsi elle garde quelque chose de mystérieux dont nous nous sentons à notre tour imprégnés… Avancer, avec elle, c’est entrer perpétuellement dans du mystère…