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interdit sous l’ordre de cette volonté supérieure.

— Venez, venez, murmura-t-elle.

Il voulut se dégager, elle déclara d’une voix plus impérieuse :

— C’est mon amour que vous sacrifiez, Pascal !

Il se laissa conduire à quelques pas, comme un aveugle obéissant. Elle l’assit à ses genoux et lui prit la tête entre ses mains. Alors il se mit à pleurer.

Dans le temple clos de la clairière dont les arbres se rejoignaient en coupole, Guillaume caressait Régine. Immobile, elle s’étalait sur l’herbe luxuriante, les bras et la poitrine nus. Couché près d’elle, il lui baisait la chair.

Sa bouche se complaisait à chacun des doigts écartés, les absorbant comme des friandises et leur laissant de chatoyantes bagues. Sa bouche buvait à la paume offerte comme à une coupe frémissante. Sa bouche s’attachait longuement au poignet délicat, comme si elle lui eût forgé, à petits coups de lèvres, un bracelet invisible. Lentement, par gestes martelés, elle s’enroulait autour du bras étendu, ciselant des gourmettes et des anneaux, où parfois, en une pause choisie, elle rivait comme des pierres précieuses et des médaillons d’un art délicat.

L’aisselle la retint pour de plus mystérieuses joies. Puis elle en vint aux épaules rondes, et elle ne fit qu’y suspendre un collier de perles espacées, car la gorge impatiente attendait comme si sa double cime eût été le but et la raison de cette promenade voluptueuse. Et la bouche orna de baisers l’adorable trésor des seins. Elle les entoura l’un après l’autre de cercles rigoureux qui allaient en s’étrécissant. Puis, à mailles serrées, elle leur tressa des chaînes qui, toutes, rayonnaient vers les pointes fines. Et chaque fois, pour les y nouer, c’était une halte savante et un travail infiniment subtil.


IX


Régine et d’Arjols avaient passé non loin d’eux, enlacés. Madeleine se pencha sur Pascal. Ses larmes ne coulaient plus. Elle lui dit doucement.

— Vous ne vous doutiez donc de rien ?

— Non, de rien.

— Et cela vous fait souffrir ?

— Oui, je souffre…

Il reprit aussitôt :

— Je vous demande pardon, Madeleine, je ne devrais pas souffrir puisque je vous aime et que je n’aime plus Régine, et cependant je suis tout meurtri.

— Oh ! dit-elle, je ne vous en veux pas, il est tout naturel que vous pleuriez… c’est votre confiance qui s’en va… votre illusion…

— Voilà pourquoi je souffre, Madeleine… j’avais foi en elle malgré sa légèreté… je la croyais une honnête petite créature, et puis… et puis… la voir se livrer… là… comme une bête… quelle infamie…

Elle sourit avec indulgence :

— Pascal, quand vous embrassiez l’autre jour mes pieds nus, était-ce une infamie ?

— Comment pouvez-vous comparer, Madeleine, notre jolie joie si pure et la leur si malsaine ?…

— La nôtre était-elle si pure ? qui sait si la leur ne l’est pas davantage ?

Il se souleva sur les poignets, les traits en désordre, et balbutia :

— Madeleine, croyez-vous… croyez-vous… qu’elle soit sa maîtresse ?

Après une légère hésitation elle répondit :

— Non, je ne le crois pas.